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Prolégomènes à la vie vraie

19. Eischmann l'Étranger

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Je soupçonne une manière de complicité entre l'Étranger de Camus et le Eischmann de Arendt. Tiendrait-elle à l'observation que l'enfer ne semble nullement pavé que de mauvaises intentions. La malveillance ne serait alors que la pointe d'un iceberg. À en croire Arendt elle-même, on peut considérer Eischmann non pas comme foncièrement mauvais, mais seulement particulièrement con. La connerie étant "trop humaine" cela revient donc à soulever encore la question des degrés qui donne lieu en psychiatrie à l'ouverture d'une catégorie à large spectre dite des "cas limites" (sorte de fourre-tout dans lequel il est permis de verser aussi bien les variétés de pervers que de schizoïdes).
Par ailleurs, il apparaît que le drame contemporain n'est plus le besoin insatisfait du peuple et des foules, mais le manque de désir même. Ce n'est plus la reconnaissance qui fait défaut, car chacun est prêt à reconnaître l'autre pour peu que cela soit réciproque et même un manque de réciprocité ne saurait entamer le noyau de confiance foncière éhontée (le noyau pervers de la personnalité normale). C'est le sentiment même de sa dignité bafouée qui s'évanouit et s'effiloche entre les doigts de la monade urbaine. Quel rapport avec l'Étranger et avec Eischmann? Tous deux s'assimilent aisément dans le prototype du schizoïde moderne en rupture de familiarité avec le monde, l’air de privilégier des liaisons fumeuses entre des rives également inaccessibles, lui-même davantage étranger à lui-même, avant que de l’être doublement aux autres. Bizarrerie de la civilisation plus que de l'évolution, qui n'est pas sans évoquer les maladies psychosomatiques ou auto-immunes.
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En fait, c'est le statut de l'attitude de mépris qui pose un problème. Le mépris en tant qu'attitude se confond-il avec le comportement qui traduit son sentiment, ou au contraire peut-il en être dissocié, un comportement hypocrite se drapant d'un magnanime refus du mépris? Cela signifierait qu'il existe des conditions pour que même une attitude bienveillante recèlerait une organisation perverse.

Mais alors où donc se trouve-t-il ce mépris et qu'est-ce que vraiment cette attitude hypocrite censée manifester le respect de son prochain ? Où est l'honnêteté dans tout ça? Assez empreinte de discrétion pour éviter de sacrifier au paraître ou au contraire trop cachée pour exister sérieusement?

À cela s'ajoutent les tests de contrôle non motivés, à savoir la mobilisation d'une fonctionnalité sans déclencheur naturel autre que la vérification de la compétence. Or, le fonctionnement à vide est une des formes de la perversion. La plus naturelle de ses formes quand elle se produit par exemple in utero ou à titre de premiers émois.
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Itinéraire d'une quête philosophique curieuse de ses propres racines: la pensée comme fleur neuroponique et son rôle écologique dans la sphère humaine.
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