Impertinence et à-propos

« Certains disent que, par un acte de volonté, on peut obtenir le mouvement de son bras, mais pas celui d'une boîte d'allumettes ; mais s'ils entendent par là "Veuillez simplement que la boîte bouge, et elle ne bougera pas", alors je leur répondrai "Si je veux de la même manière que mon bras bouge, il ne le fera pas". Et s'ils veulent dire qu'ils peuvent remuer le bras mais pas la boîte, je réponds que je peux bouger la boîte. Rien de plus facile. »

J'aime assez ce passage de "L'intention" d'Elisabeth Anscombe, en guise d'avant-propos à un propos sur l'à-propos qui y fait entrer de plain-pied. Il invite à considérer l'intention comme le symbiote rationnel de l'action (élément quelque part secondaire, mais facilement sujet à l'enflure comme peut l'être le développement d'un propos qui pécherait précisément par défaut d'à-propos), et laisse transparaître un volontarisme simple et opiniâtre. Un peu comme dans la voix qui lance: "Action!"

Pour modifier la perspective tout en gardant à l'esprit l'énergie tirée de l'enthousiasme (reconnaissable également dans l'énergie tirée du désespoir ou dans celle tirée de cette "phase de désespérance avant l'expulsion",  attestée par quantité de parturientes), quand on dit "au fond" en parlant de sentiment, d'émotion et donc du côté viscéral de l'intention, on parle, si je ne m'abuse, de cocktail adéquat d'hormones et de circuit bien agencé de neurones. Partant, on peut imaginer l'implication d'ingrédients et processus physiologiques équivalents dans des actions identiques et dont on peut décrire les objectifs pareillement. Par ailleurs, comme dans tout exercice de reproduction, le listing et la posologie des substances actives ne suffirait pas à assurer l'authenticité du phénomène recherché. Or, si on part avec l'idée qu'une émotion non feinte ne peut pas être provoquée, autant congédier de suite toutes les philosophies. Il s'agit par conséquent de s'accorder sur le degré de sincérité et de spontanéité requis pour l'authentification des artifices, autrement dit pour naturaliser un élément culturel (ce que j'appellerais volontiers un "mème neuroponique", m'offrant du même coup l'occasion de présenter un exemple qui tombe à pic de barbarisme impertinent).

La question de l'autorité en la matière est tout le problème du vivre-vrai, ou de la vraie vie. Certains pensent que le seul juge sur ce point ne peut être que soi-même et rabrouent ceux qui prétendent que le soi-disant jugement personnel n'est qu'un aval de la pensée d'autrui. Cependant, même si l'individu n'en est pas le seul sujet, il demeure bien le premier concerné par ce qu'il ressent, donc le premier à pouvoir en relativiser l'interprétation naturelle, simpliste et automatique. À moins que cela ne le fasse entrer dans un inconfortable engrenage circulaire dont il ne sortirait que par une concession verticale à l'impératif catégorique qui l'intègre de gré ou de force à l'humanité. C'est une contrainte pour une obligation. La bénédiction de la routine dure tant qu'on ne s'en inquiète pas. Adorable et sauvage candeur des moutons électriques.

Le doute s'est installé, et on ne le balaie pas d'une pichenette: "Est-il permis de se demander ce que nous faisons là ?" Un silence assourdissant indiquerait qu'il n'y a pas de quoi se faire du souci, au contraire, soyons heureux d'être simplement capables de jouer le jeu. Pour un peu, il m'échapperait un "grâce à Dieu".

Bref, si l'on veut bien, dans la dynamique de l'action, l'évaluation de l'objectif participe au fonctionnement. L'agent sur le terrain se ballade avec en bandoulière son inspecteur portable des travaux finis. Tout est dit quand on entend que rien n'est dit. Or donc nous disions... ah oui: "action!" Pour le meilleur, puisque nous le souhaitons. Le souhaiter, telle était notre intention. Maigre indice, mais on fera avec...